En mars dernier j’étais au Salon du livre à Paris. Sur le stand Actes Sud/Babel, j’avais repéré un livre. C’était son titre qui m’avait attirée. J’ai donc noté « Kinderzimmer » de Valentine Goby sur ma liste de livres à lire.
Et voilà, un heureux concours de circonstance a fait que j’ai pu inviter Valentine Goby à une réunion de mon club de lecture. Autant vous dire que moi-même et tous les membres de mon cercle de lecture, nous nous sommes réjouis à l’idée de pouvoir échanger avec elle sur ce livre que j’ai donc sorti de ma wish-list.
Nous avons pris un énorme plaisir à écouter Valentine Goby, qui nous a expliqué la genèse et l’histoire de ce livre.
Le début
Elle dit mi-avril 1944, nous partons pour l’Allemagne.
On y est. Ce qui a précédé, la Résistance, l’arrestation, Fresnes, n’est au fond qu’un prélude. Le silence dans la classe naît du mot Allemagne, qui annonce le récit capital. Longtemps elle a été reconnaissante de ce silence, de cet effacement devant son histoire à elle, quand il fallait exhumer les images et les faits tus vingts ans ; de ce silence et de cette immobilité, car pas un chuchotement, pas un geste dans les rangs de ces garçons et filles de dix-huit ans, comme s’ils savaient que leurs voix, leurs corps si neufs pouvaient empêcher la mémoire.
L’histoire
Suzanne Langlois est invitée dans une classe de terminale (?) pour témoigner de son vécu dans le camp de concentration de Ravensbrück.
Mila est son nom de code, elle est résistante. Elle est arrêtée et emmenée dans un camp de travail pour femmes. Elle est enceinte. Un « détail » qu’elle va cacher. Nous vivons le quotidien avec elle : c’est sale, c’est dur. Ces femmes essayent de survivre dans cet univers invivable. Elles ont l’espoir qu’elles sortiront de cet endroit. Les rumeurs vont bon train : les Américains sont en Normandie, ils vont bientôt arriver. En attendant, elles essayent de vivre chaque jour qui passe. Elles ont faim, certaines tombent malades, certaines meurent. Et puis Mila accouche, elle découvre la Kinderzimmer, la nurserie où les enfants sont vieux…
Valentine Goby nous a raconté
Elle a rencontré Marie-José Chombart de Lauwe qui n’est autre que la nurse chargée de s’occuper de la Kinderzimmer de Ravensbrück. Elle a aussi rencontré « trois bébés » rescapés de camp. Au fil des entretiens qu’elle a avec cette nurse hors du commun, elle se rend compte que l’histoire que celle-ci lui raconte est biaisée. C’est comme si elle racontait le témoignage de quelqu’un d’autre. Valentine Goby a mis du temps avant de se décider à écrire cette histoire. Elle s’est longtemps demandé comment elle pouvait justifier d’écrire ce livre à la place de ces témoins. C’est quand elle a trouvé l’idée du début qu’elle a senti qu’elle pouvait le faire : alors que Suzanne Langlois raconte cette terrible expérience devant cette classe, une élève lui demande comment elle pouvait savoir qu’elle était arrivée à Ravensbrück puisque personne ne lui avait dit à ce moment là.
Au travers de ce récit, Valentine Goby veut nous montrer que ces femmes ont été déportées « comme elles étaient ». C’étaient des femmes qui, avant d’arriver là, avaient une vie normale, elles avaient des maris ou des amants, elles travaillaient. Elles ont été attrapées dans leur routine quotidienne et oui, certaines étaient enceinte à leur arrivée dans le camp.
Dans le camp, elles ont de l’espoir. Elles croient que la vie vaut la peine d’être vécue. C’est la solidarité qui les fait tenir, car seule dans un endroit pareil on est mort. A chaque seconde la question se pose : veut-on continuer à vivre dans de telles circonstances ? C’est là que la Kinderzimmer « prend tout son sens » : cela vaut la peine qu’un bébé vive, ne serait-ce que quelques jours…
Nos avis
C’est un livre dur. Personnellement, je l’ai lu par intermittence. Il m’était impossible de lire ce livre d’un seul trait. Le récit est écrit au présent. Nous découvrons le camps en même temps que Mila. Son fonctionnement. Ces mots incompréhensibles scandés par les surveillantes. Le quotidien. Ce n’est pas une histoire qu’on nous raconte. C’est juste la réalité. On la vit. Le texte est écrit dans un style qui fait que nous sommes dans la peau de la résistante : ce sont des phrases courtes, saccadées par une ponctuation exagérée. Les mots et les phrases employés sont choquants. Mais c’est vrai.
Ils puent la mort…Un bébé habillé en soldat mort…Les bébés sont vieux…Tenir encore malgré l’hypothèse du gaz…
Sandrine se sentait sale à la lecture des chapitres, tellement le texte est réaliste. Elle a trouvé l’utilisation de la langue extrêmement bien adaptée au sujet et au contexte. Elle aussi a trouvé que l’utilisation du Présent nous fait vivre la découverte du camp en même temps que Mila, la découverte de l’horreur, de la saleté, de l’humiliation.
Catherine a eu la nausée. Les descriptifs sont très crus. Certains passages poétiques font tâche et contrastent avec l’ambiance. Ces femmes combattent pour garder une certaine dignité.
Julie a trouvé que les phrases courtes matérialisent à elles seules le sentiment de violence. Elle a été très émue et choquée par le réalisme du livre, les images violentes auxquelles il renvoie, particulièrement la situation des enfants dans la Kinderzimmer qui l’ont émue à en pleurer.
Pour Florence, plus qu’un roman, ce livre tient de l’expérience. C’est une claque en pleine figure, une réalité abominable prise de plein fouet. Ça tord les boyaux, dérange, remue le corps et l’esprit. Ce livre l’a hantée comme quelque chose de vécu personnellement, qui serait temporellement loin mais toujours présent, inscrit dans la chair. Il est sensitif ; ce n’est plus l’intellect qui réagit aux mots mais le corps tout entier. L’Histoire, on la connaît. Mais là où est la force de ce livre, c’est que durant sa lecture et même au-delà, on la vit. On ne peut pas dire que l’on peut comprendre ce qu’ont vécu ces gens, on ne peut pas, mais avec ce livre elle a eu l’impression de pouvoir s’en rapprocher. Pour elle, il y a un avant Kinderzimmer et un après. Et pour elle un bon écrivain, un bon livre, c’est exactement ça, réussir à nous faire vivre et ressentir au plus profond de soi les choses. C’est là toute la force et l’essence même de la littérature, mais encore faut-il savoir le faire.
Julie et Sandrine ont moins aimé la fin du livre. Julie l’a trouvé inutile, tandis que Sandrine aurait aimé que la fin soit différente, que le livre se finisse plus tôt, pour elle il perd de son impact avec cette fin un peu plus édulcorée que le reste du livre. En ce qui me concerne, ce type de fin ne m’a pas gênée, au contraire, elle a été une bouffée d’air après ce que je venais de lire.
C’est un livre dont il nous est difficile de juger si on l’aime ou pas. Mais c’est un livre qu’il faut avoir lu.
Bravo à Valentine Goby qui est une femme formidable, passionnante qui force notre admiration.
L’auteure
Valentine Goby est née à Grasse en 1974. Avant de se consacrer pleinement à l’écriture, elle a été professeur de Lettres et de Théâtre au collège. Elle publie son premier roman en 2002.
Merci pour le bilan. Malgré l’histoire dure, cela me donne envie de lire ce livre.
Si tu le lis, tu me diras ce que tu en auras pensé !
… merci pour ce retour !
Rien que le titre du livre me donne une désagréable sensation au fond du ventre. Bravo aux courageuses qui ont pu le lire jusqu’au bout … je ne sais pas si j’en aurais la force. Je verrai, je garde en mémoire ce livre à lire !
Merci aussi à l’auteure, Valentine Goby, pour ce travail de mémoire; un livre témoignage de vécus hélas historiques. Merci pour le courage qu’il faut d’oser regarder certaines vérités en face …
une pensée pour toutes les femmes qui en cet instant même vivent peut-être, sans doute, aussi pire …
Nadine
C’est sûr, ce n’est pas un roman de plage…
Quel moment incroyable!!!! et quelle femme passionnante et sympathique!!!!
Contente que tu aies apprécié Flo !
[…] rapportent à ce sujet comme Si c’est un Homme de Primo Levi, Le journal d’Anne Franck, Kinderzimmer de Valentine Goby que j’ai eu la chance de pouvoir convier à mon club de lecture, Il giardino dei Finzi […]